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Dessiner un arbre

Tout d’abord marcher, en prenant le temps. Regarder sans chercher, les arbres qui bordent le chemin. Puis, devant l’arbre qui s’impose, s’arrêter. Contempler… laisser l’arbre m’observer, si la rencontre a lieu, s’asseoir. Sortir le carnet et le crayon puis se taire et laisser l’arbre parler. Ressentir sa substance, vivante, sa densité palpable, là, à quelques mètres devant moi. La main n’a plus qu’à se laisser guider par sa présence.

Je commence toujours par le tronc, au bas de la feuille, puis je laisse le trait se déployer vers le haut, en suivant les courbes qui s’enchainent. Elles me parlent de la manière dont celui-ci s’est élancé vers le ciel ; comment il a grandit en jouant contre la force du vent, parfois très fort dans cette région ; comment une branche s’est inscrite dans la ligne de force du tronc, comme un contrepoids, afin qu’il ne perde pas l’équilibre.

La main est au service du regard pur, pas de pensée, pas de réflexion, uniquement essayer de ne pas trop trahir la beauté qui s’offre. Parfois la main s’égare dans les innombrables petites branches et les feuilles qui surgissent de partout – me voilà perdue après avoir suivie une envolée de branches, de feuilles qui s’emmêlent et se chevauchent. La feuille de papier, sans profondeur, limite ma transcription, j’en prends mon parti. Je laisse une respiration, de l’espace. Le trait reprend son souffle. Il s’arrête un moment devant l’impossibilité de tracer tous les détails. Je reviens vers le tronc, pour repartir vers une nouvelle envolée.

L’arbre sort du cadre. Je ne dessine que ce que mon regard embrasse, sans avoir besoin de bouger la tête, afin de traduire, au plus près, l’intensité du contact qui s’établit entre nous. Je ne dessine que le cœur de l’arbre, son tronc s’enfonce dans la terre et ses branches s’élancent dans le ciel mais ce qui me touche c’est le cœur de notre face à face, l’endroit où la communion entre nous a été la plus directe et la plus totale.

Pas de sol, l’espace respire… dans toutes les directions. On le sent dévorant, prêt à happer et dissoudre la forme de l’arbre pour ne laisser que la lumière et le vide.

Notes d’atelier – octobre 2017

 

 

« Quand je dessine, naturellement j'essaie de me vider complètement le cerveau de tout souvenir
pour ne recevoir que le moment présent. » 

Henri Matisse, 1948

 

« Toujours dessiner » disait Ingres, « dessiner des yeux quand on ne peut pas dessiner avec le crayon »
« I'm looking, I'm drawing all the time », répondait Ellsworth Kelly