Mon travail n’est pas conceptuel, il est le reflet de mon émotion devant la perfection de la nature. La beauté laisse sans voix, devant elle le besoin de formuler ne s’active pas. Rien à penser devant un coucher de soleil ou une fleur. Je tente de m’approcher de cette évidence avec chaque dessin.
«  La rose est sans pourquoi. » Silesius

Nous connaissons intimement le sentiment d’harmonie, de perfection. C’est un état que nous avons déjà goûté et dont nous avons la nostalgie. Un dessin est réussi quand il y a, ne serait-ce qu’une trace, de ce sentiment de perfection et d’harmonie, devant lequel quelque chose en nous est en paix. J’ai ce désir un peu fou que mes dessins rendent les gens heureux, apaisés. Voilà pourquoi je ne dessine pas à partir de concepts, d’idées mais à partir du sensible et du sentiment d’harmonie.

Il me semble important d’exprimer, par tous les moyens, la beauté, de provoquer une émotion de beauté qui court-circuite tout besoin de recourir aux mots pour commenter. Une beauté simple, non tapageuse. La beauté libre du besoin de prouver ou d’affirmer quoi que ce soit renvoie à la contemplation. A une émotion que nous avons souvent perdue adulte, celle de l’émerveillement simple et innocent, que l’on peut ressentir face au spectacle du vivant, de la nature.
Je veux parler de cette beauté simple, évidente et directe. J’essaye de m’en approcher avec chaque dessin.
La beauté est importante, elle me semble même primordiale dans ce monde qui oublie son origine, sa source première. Elle est le contrepoids vital à la superficialité ambiante. Superficialité qui nous éloigne du vrai et génère souffrance et violence par manque de respect et d’écoute au sens le plus large et le plus global du terme.
Les artistes se doivent de parler de la beauté, c’est leur rôle. Seul l’artiste peut se permettre de le faire, non pas pour quelque chose, mais pour rien, pour la beauté du geste. Un dessin ne sert à rien et c’est cela qui est touchant, cette absolue non-nécessité, le temps passé uniquement au service de la beauté comme une offrande bien minuscule à la grande beauté du réel, à sa richesse illimitée et sans égal. L’acte de création est célébration de l’instant, du vivant et de tout ce qui dépasse le besoin de posséder et de régner.
Le titre de la série La lumière derrière les objets est une invitation à s’interroger sur la nature de la lumière qui donne forme aux objets. Sans lumière l’objet est inexistant. Sans le support de l’objet je ne peux percevoir la lumière. Je ne peux la regarder directement sinon elle m’aveugle et me brûle. La lumière d’origine est une et se révèle dans le multiple. Aussi il est important de retrouver un regard qui ne se limite pas à l’aspect de la multiplicité. Un regard moins avide d’objet qui reste ouvert et disponible et qui ose laisser la forme et ce qui la sous tend se révéler à son rythme. Un regard qui prend le temps d’aller d’une simple vision de surface à une vision plus profonde, plus interne. Là les détails les plus ultimes, les plus cachés et les plus mystérieux se dévoilent sans bruit et sans parole. On peut découvrir que la matière n’est pas si matérielle et dense que l’on croit. Elle est tissée de lumière.

Finalement la plupart des artistes peintres ou dessinateurs n’ont cherché et ne cherche qu’à montrer la lumière, à lui donner vie sous une forme ou une autre. Le sujet du tableau ou du dessin lui-même devenant parfois si évanescent, qu’il finit par disparaître au profit de la lumière pure. A leur suite je tente cette même aventure folle, donner à voir, à sentir la lumière, origine de toute apparition, source de toute forme. Un pari fou, perdu d’avance, mais l’appel est là, irrésistible — dédier sa vie à cette quête de l’inaccessible étoile, à cette folie de vouloir montrer l’indicible.

Le seul sujet de cette série est donc la lumière, sa circulation, son apparition et sa fragmentation. A travers la trame, plus ou moins dense, de matière, formée par la multitude de traits, donner à voir la lumière. La laisser transparaitre, deviner à travers chaque maille, chaque interstice de cette trame.
Le moindre détail devient perceptible et sensible dans ce minimalisme esthétique. Mais un simple coup d’œil ne suffit pas. Il s’agit de se poser un certain temps face au dessin et d’accepter le fait d’être dans du presque rien, de l’imperceptible. Une sorte de contre pied à l’instantanéité moderne où l’on consomme au lieu d’apprendre à contempler. Chaque volute, sinuosité du trait devient signe pour le regard. Tentative de traduire le souffle imperceptible qui anime l’univers.

L’utilisation du cercle comme unique sujet du dessin entraine simplicité et épurement. Sa force symbolique permet une représentation minimum et me met face au défi constant de dire l’essentiel, sans fioritures, ni détours possibles.
Notes d’atelier // Octobre 2015

«  Le trait tracé (…) incarne le processus par lequel l’homme dessinant rejoint les gestes de la création. »
François Cheng